L'ICI DE L'AILLEURS
Mohamed Loakira
Je ne peux m'empêcher, face aux travaux de Abdelhay Mellakh, de narrer la perception disputant la priorité à la dimension émotionnelle. Quelque part, l'enfoui bien disant en moi fait surface, m'interpelle et me convie à écouter mes vibrations instantanées, à laisser la tension esthétique s'organiser autour de l'irrégulier et de l'asymétrique comme pour affoler l'espace d'éléments ébauchés à main levée sans affiner les alentours des aboutis. Et mon regard butine à sa guise.
Bien que l'énoncé de la peinture de A. Mellakh ne soit pas anecdotique, j'arrive à déceler la multiplicité du dire, des balbutiements, du silence tapi au sein même de l'attirance oculaire. A travers les formes, les symboles, la franchise et les contours des couleurs, le regard se trouve surpris, sinon perturbé par les parallèles qui se rencontrent, les triangles, les spirales et les cercles qui ne tournent pas en rond. Car cette peinture s'adonne entre le signe plutôt esquissé qu'éclaté, le geste fougueux, débordant ses limites, sans pour autant coller de force un signifiant sur un signifié.
Quelquefois à travers l'allusion et le clin d'œil.
Et saisira celui qui sait déchiffrer le langage propre à l'acte de peindre.
La peinture de A. Mellakh, me semble-t-il, est en quête constante, ne cesse d'interroger ses lieux d'ancrage, ne trouve que pour remettre en question et entamer un nouveau départ, riche d'acquis, de brûlures et du reste à découvrir. Elle accomplit sa picturalité en laissant libre cours au pinceau d'apposer l'informel, le non-dit autant qu'elle procède à des arrêts impromptus sur la résistance d'une mémoire aux strates disséminées dans les entrelacs de la fontaine où l'impératif de boire est assorti de la nécessité de regarder.
Puis l'arcade, la courbe d'une pente, le passage des teinturiers. Les écheveaux, entre ciel et terre, s'émeuvent, se complaisent et entremêlent les couleurs. Loin d'être délibérément agencés, ils atténuent, gonflent des volumes et composent des formes, des coloris inédits, étant éventés par la poussière ocre et les rayons du soleil. L'on aurait tendance à imaginer les petits yeux d'un enfant saisis et émerveillés par la trame chromatique qui voltige au-dessus de sa tête.
Puis au fond, dans la quasi-pénombre, cet enfant se laissait asperger par les arômes d'osier, du thuya et du cèdre.
C'est là l'origine de cette peinture.
C'est là la base de son envol.
A. Mellakh aime étendre la lumière de sa ville natale, dirais-je de son quartier de naissance, qu'il porte à l'extrémité des doigts. Il sublime la rencontre avec l'accidentel et le creusage au tréfonds de soi, tentative de pénétrer le voilé et de parvenir au geste libérateur tant entrepris durant les rêves.
L'alchimie du passé, présent, futur s'apprête dans un espace aux structures changeantes, traversé par l'interrompu, l'effacé comme pour murmurer et non déclamer.
J'y trouve une échelle chromatique harmonieuse, mais bien réduite : le bleu, le jaune, le rouge-oranger, parfois le gris, rarement le vert. Ces couleurs s'interpénètrent et suggèrent des formes pyramidales prenant l'aspect de silhouettes, de visages à peine identifiés, de corps démembrés, de cercles difformes, de pupilles en masse tels des témoins oculaires. Pluralité de sens, en regard des tons qui passent de l'été à l'hiver, du printemps à l'automne. Comme j'y trouve la présence timide de deux lettres de l'alphabet arabe, les flèches indiquant souvent le bas, quelquefois le haut, la folie des spirales et singulièrement les travaux monochromes… et surtout la présence quasi-permanente de la paume de la main et de la colombe.
Représentée à la verticale, la paume contient la fulgurance d'un œil. Parfois complice, consentant ou tiers. Souvent harangueur, instigateur ou cri rageur. Il hurle, me semble-t-il, un ASSEZ sans équivoque, bien qu'il soit adouci par des phalanges tatouées de triangles, d'arabesques, de blancs intermédiaires, me rappelant les dessins de henné, les graffiti sur les murs ou le griffonnage à l'encre de toison sur les tablettes de l'école coranique.
Quant à la colombe, elle se métamorphose et se montre sous des aspects divers. En attente sous le poids de ses illusions. Jouissant d'une liberté fuyante. Encagée et n'a que les souvenirs pour refuge. Muselée sans pour autant cesser de se dire la certitude en un devenir meilleur. Appréciant l'instant et devinant les aléas de l'existence. Elle paraît au-dessus des chimères, des manipulations, des mensonges et vit ses vérités, dirait-on, au jour le jour.
Ainsi, la peinture de Abdelhay Mellakh, comme toute peinture d'ailleurs, ne délivre jamais tous ses vrais secrets. Elle se construit/se déconstruit au fur et à mesure qu'elle se donne à voir.